Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/36

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et c’est une remarque dont, toute la vie, vous sentirez la justesse, plus votre convive est pauvre, plus il jouit de se voir bien traité. Pour mon compte j’aimais, par instinct, à contempler l’expression du bonheur sur la figure humaine, comme d’autres restent en extase devant les nuances d’une tulipe ou devant l’aile d’un papillon.

Toutefois, lorsque, dans l’un de nos parents, nous reconnaissions un très-mauvais caractère, un fâcheux, un hôte dont nous désirions nous défaire, j’avais toujours soin, au moment où il nous quittait, de lui prêter, soit une redingote, soit une paire de bottes, parfois même un cheval de peu de valeur, et toujours j’ai eu le plaisir de voir que pas un n’est revenu me les rendre. Notre maison se trouvait ainsi débarrassée de ceux qui ne pouvaient nous convenir ; mais la famille de Wakefield n’a jamais passé pour avoir fermé sa porte au voyageur ou au pauvre malheureux.

Ainsi s’écoulèrent, pour nous, plusieurs années de bonheur ; non qu’il ne nous survînt parfois de ces petites contrariétés que la Providence envoie pour mieux faire apprécier ses faveurs. Tantôt les écoliers pillaient mon verger ; les chats ou les enfants volaient à ma femme ses pâtisseries ; tantôt le châtelain s’endormait aux passages les plus pathétiques de mon sermon, ou, à l’église, la châtelaine répondait aux politesses de ma femme par une révérence un peu écourtée. Mais nous nous mettions promptement au-dessus du chagrin que nous causaient ces accidents, et, habituellement, au bout de trois ou quatre jours, nous nous trouvions tout surpris de nous en être préoccupés.

Mes enfants devaient à notre tempérance et à une éducation sans mollesse une bonne constitution et une bonne santé ; mes fils étaient vigoureux et actifs, mes filles belles et fraîches. Quand je me voyais au milieu de ce petit cercle qui me promettait un appui pour ma vieillesse, je ne pouvais m’empêcher de redire la fameuse histoire du