Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/42

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J’achevais une brochure que je comptais sous peu publier pour la défense de mon système favori. Je la regardais comme un chef-d’œuvre tout à la fois d’argumentation et de style : aussi, dans l’orgueil de mon cœur, je n’y pus tenir ; je la montrai à mon vieil ami, M. Wilmot, ne faisant aucun doute que j’allais avoir son approbation : mais je reconnus, trop tard, qu’il était véhémentement attaché à l’opinion contraire, et par une bonne raison : en ce moment même il faisait la cour à sa quatrième femme. Comme on peut bien s’y attendre, il en résulta une discussion à laquelle se mêla un peu d’aigreur ; l’alliance projetée se trouva presque compromise ; mais, la veille du jour fixé pour la cérémonie, nous convînmes de traiter à fond la question.

De part et d’autre elle fut attaquée avec une égale chaleur. « Vous êtes hétérodoxe, » me dit-il. Je rétorquai l’accusation ; il répliqua, je ripostai. Tout à coup, au plus fort de la controverse, un de mes parents me fit prier de sortir, et, d’un air fort abattu, me conseilla de couper court à la dispute et de laisser le vieux gentleman libre d’épouser, s’il le désirait, au moins jusqu’à ce que le mariage de mon fils fût conclu.

« Le moyen, m’écriai-je, d’abandonner la cause de la vérité et de le laisser épouser, quand je viens de l’acculer à l’absurde ! Renoncer à ma thèse ! autant vaudrait me conseiller de renoncer à ma fortune. — Votre fortune ! reprit mon ami, je vous l’apprends avec douleur, elle est à peu près anéantie. Le négociant de Londres chez lequel vos fonds étaient placés est en fuite pour échapper à une action en banqueroute, et on pense qu’il n’a pas laissé un schelling par livre sterling. Je ne voulais pas vous bouleverser, vous et les vôtres, par cette triste nouvelle ; je voulais laisser passer la noce ; mais, aujourd’hui, cela va sans doute modérer votre rage de dispute : car, je le suppose, vous serez assez sage pour sentir la nécessité de dissimuler au moins jusqu’à ce que votre fils soit assuré de la fortune de sa jeune femme ! — Si ce que vous me dites est vrai, répliquai-je, si je suis réduit à la misère,