Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le chapelain s’approcha, et demanda pardon de nous avoir troublés, assurant qu’il ne nous savait pas si près ; puis il s’assit à côté de ma fille cadette, et, en vrai chasseur, lui offrit ce qu’il avait tué dans la matinée. Elle allait refuser, mais un coup d’œil de sa mère lui fit réparer, son étourderie, et accepter le présent, quoique avec de l’hésitation. Ma femme, comme de coutume, laissa percer son orgueil, en remarquant, à voix basse, que Sophie avait fait la conquête du chapelain, comme Olivia celle du Squire. Je soupçonnais, avec plus de probabilité, que son affection avait un autre objet.

Le chapelain était chargé de nous annoncer que M. Thornhill avait fait venir de la musique et des rafraîchissements, et qu’il avait le projet de donner, le soir même, aux dames, un bal au clair de la lune, sur la pelouse devant notre porte. « Je ne puis cacher, ajouta-t-il, que j’ai intérêt à apporter le premier ce message ; car, pour ma récompense, j’espère que miss Sophie me fera l’honneur de danser avec moi. — Oh ! de grand cœur ! répondit Sophie, si les convenances me le permettaient. Mais voici, ajouta-t-elle en regardant M. Burchell, un gentleman qui a partagé avec moi les fatigues de la journée et qui doit en partager les amusements. »

M. Burchell la remercia de sa bonne intention, mais la céda au chapelain ; il était, à cinq milles de là, invité à un souper de moisson, et il allait y passer la nuit.

Son refus était pour moi un peu extraordinaire, et je ne pouvais concevoir qu’une fille de sens comme Sophie préférât un homme ruiné à un homme qui avait de bien plus belles espérances. Mais si les hommes sont fort habiles à discerner le mérite des femmes, les femmes, parfois, ont sur nous un coup d’œil de la plus grande justesse. Destinés, il paraît, à s’épier l’un l’autre, les deux sexes ont reçu une aptitude diverse pour cette mutuelle surveillance.