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Page:Gomperz - Les penseurs de la Grèce, Vol 1, 1908.djvu/243

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les penseurs de la grèce

de matière pourrait-elle se rencontrer dans le pain si elle n’existait pas déjà dans la terre, dans l’eau, dans l’air, dans le feu (du soleil), desquels le blé a tiré sa nourriture ? Et puisque tant d’êtres et des êtres si différents tirent leur substance des mêmes sources, on doit admettre en celles-ci la présence d’innombrables particules de natures différentes. La terre, l’eau, le feu, l’air, apparemment les plus simples de tous les corps, sont en réalité les plus composés. Ils sont pleins de « semences » ou de matières premières de toutes les espèces imaginables ; ce ne sont guère que des collections ou des entrepôts où s’approvisionnent animaux et végétaux. Toutes les qualités des diverses parties du corps humain appartiennent de toute éternité aux particules primitives, et se manifestent quand les circonstances sont favorables ; ainsi s’élabore le parfum de la rose, ainsi l’aiguillon de l’abeille acquiert son acuité, ainsi se réunissent les couleurs chatoyantes qui brillent comme des yeux sur la queue du paon. Autant d’impressions les sens nous transmettent, en tenant compte des plus légères, des plus insaisissables nuances ; autant de combinaisons se révèlent dans l’unité d’un objet matériel ; — autant il doit exister de particules primordiales ; l’énumération en serait donc impossible.

Qui ne voit que le contenu de cette doctrine contredit de la façon la plus évidente les faits constatés par la science moderne ? Mais, et qu’on le remarque bien, il règne, malgré tout, entre la méthode et les aspirations d’Anaxagore et celles de nos savants la plus surprenante concordance. Lui aussi se propose de faire comprendre jusque dans leur essence intime les phénomènes de l’Univers. Les processus chimiques sont ramenés par lui aux mouvements ; même les faits physiologiques sont dépouillés par lui de toute apparence de mysticisme et étudiés au point de vue mécanique. Car c’est aux combinaisons et aux séparations, c’est-à-dire aux changements de situation qu’il recourt pour expliquer les altérations, les transformations les plus mystérieuses. La théorie du philosophe de Klazomènes est une tentative, grossière sans doute et prématurée, pour montrer que tous les phénomènes matériels sont les conséquences de mouvements. Quant au détail de cette théorie, nous l’ignorons presque complètement. Comment, par exemple, Anaxagore rendait-il compte du changement d’aspect et de qualité des choses qui se produit lorsque change leur état d’agrégation ? Nous ne pouvons donner aucune réponse à cette question. Sur ce point, nous n’avons qu’une indication