Page:Goncourt, L'Italie d'hier, 1894.djvu/188

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conservée à ce point, que les crinières des chevaux sont tressées sur le modèle des entrelacs des chapiteaux des églises bâties dans ce style, et la peinture des deux frères, sous des accoutrements de leur temps, a gardé sur les figures, un peu du charbonnage et de l’expression anti-humaine des mosaïques de Saint-Marc. « Le Triomphe de la Mort », on dirait un chant macabre du Dante ! … Sous un bosquet d’orangers, où, pareils à des zéphirs, volètent deux petits amours, des couples amoureux s’enivrent de douces paroles et de musique, qu’un troubadour tire de sa voix et de son violino, pendant que la Mort descend rapide sur ces heureux vivants, pour les faucher en plein bonheur, en pleine jouissance de la vie. Et la Mort, n’est pas la Mort-squelette des danses d’Holbein, elle est une vieillarde aux cheveux blancs, qui a le corps musclé d’une figure allégorique du Temps, en même temps que les diables à son service, sont des figurations un peu carnavalesques des satyres de l’antiquité. Au-dessous de la Mort, c'est un abatis de cadavres, un charnier de rois, de bourgeois, de prêtres, de guerriers, de femmes. Et de toutes ces bouches ouvertes, les âmes sortent, comme si les morts accouchaient douloureusement de leur immortalité, et des diables hideux, aux écailles de crocodiles, et des anges, couleur de feu, tirent des bouches ces âmes, qui sous le pinceau du peintre, ont pris l’aspect matériel de gros garçons aux