Page:Goncourt, L'Italie d'hier, 1894.djvu/191

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fourchon sur eux versent du plomb fondu dans la bouche gourmande de celui-ci, tenaillent avec des tenailles rouges les lèvres impudiques de celui-là, déroulent, dévident les entrailles impures de cette femme, inventent je ne sais plus quels supplices pour les autres, qui tous, dans la soif qui les brûle, ont la tentation de tables servies de rafraîchissements, auxquels ils ne peuvent toucher.

Et ce sont des puits, des puits tout entiers, remplis jusqu’aux bords, de morts à la souffrance toujours vivante, parmi lesquels des coups de lances et de harpons font des remous douloureux.

Cet enfer de Léonard Orcagna, c’est bien la conception de l’Enfer au Moyen-Âge, mais encore plus entièrement la conception d’un peuple méridional, qui sous son soleil, ne connaît ni les mélancolies, ni le spleen du Nord, vit dans une ignorance un peu enfantine de la souffrance morale, et n’imagine pas de supplice plus cruel, plus ingénieusement barbare, en un mot plus infernal, que celui d’un homme qui rôtit à la broche. Le mur du Nord, en vingt-six grandes peintures, est comme l’exposition d’un panorama du Vieux-Testament. Et tout d’abord trois compositions, longtemps attribuées à Buffalmacco, et seulement depuis quelques années à Pietro di Puccio d’Orvieto. Ces trois compositions sont « La Création », « La Mort d’Abel », « La sortie de l’Arche ».