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GAVARNI

douloureux découragement, à une blessure morale et secrète : l’indifférence ingrate du public qui l’avait oublié ? Jamais un mot de lui ne le donna à supposer ! mais il savait si bien cacher ses douleurs et ses souffrances aux autres ! Avoir été Gavarni, avoir eu des enthousiastes, des fanatiques, au début de sa carrière, au commencement de son talent ; et, quand il se sentait plus grand que jamais dans son art, ne plus posséder l’attention publique, être frappé dune espèce d’ostracisme comme s’il avait fatigué du bruit de son nom et de sa popularité les jalousies de l’envie ! Avoir été, chaque matin, presque l’événement artistique, la nouvelle des cafés, des ateliers et des salons, et maintenant faire des chefs-d’œuvre méconnus, des choses se passant seulement entre l’éditeur, le dessinateur et un petit groupe de fidèles ! Sentir l’admiration passer à d’autres qui ne le valaient pas, assister à l’engouement général pour les dessins de ses rivaux ! Quoiqu’il se fît un orgueil déjuger ceux-ci avec impartialité, et qu’il fût le premier à faire valoir leurs qualités propres, il était un homme, et vivait d’un de ces métiers où la santé a besoin des satisfactions d’amour-propre ; et il est impossible qu’il n’ait pas souffert de cette cruelle injustice de l’opinion.

Nous avons encore en nous l’accent presque reconnaissant avec lequel il nous dit, un jour où il nous avait apporté les deux premières aquarelles de l’illustration de Gulliver, et nous voyait nous extasier sur leur clarté, leur limpidité, leur « blondeur » : — « Vous trouvez ?… Eh bien ! ça me réchauffe, mes lapins, ce que vous me dites là… » Il y avait, dans le ton de ces paroles, presque un étonnement d’être encore admiré.

De là peut-être la grande indifférence qu’il commence à avoir cette année pour son art. Il ne dessine plus guère, et qu’avec ennui. Sa grande distraction, maintenant, est le classement et l’ordre dans les choses et les souvenirs de son passé. Il entr’ouvre son Œuvre, qu’il veut