Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/119

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Germinie était en train de faire ce dîner. Elle fouettait une crème dans une terrine sur ses genoux, quand tout à coup elle sentit les premières douleurs. Elle se regarda dans le bout de glace cassée qu’elle avait au-dessus de son buffet de cuisine : elle se vit pâle. Elle descendit chez Adèle : — Donne-moi le rouge à ta maîtresse, lui dit-elle. Et elle s’en mit sur les joues. Puis elle remonta, et ne voulant pas s’écouter souffrir, elle finit son dîner. Il fallait le servir, elle le servit. Au dessert, pour donner des assiettes, elle s’appuyait aux meubles, se retenait au dossier des chaises, cachant sa torture avec l’horrible sourire crispé des gens dont les entrailles se tordent.

— Ah ! çà, tu es malade ?… lui dit sa maîtresse en la regardant.

— Oui, mademoiselle, un peu… c’est peut-être le charbon, la cuisine…

— Allons, va te coucher… on n’a plus besoin de toi, tu desserviras demain.

Elle redescendit chez Adèle.

— Ça y est, lui dit-elle, vite un fiacre… C’est rue de la Huchette, que tu m’as dit, en face d’un planeur de cuivre, ta sage-femme, n’est-ce pas ? Tu n’as pas une plume, du papier ?

Et elle se mit à écrire un mot pour sa maîtresse. Elle lui disait qu’elle était trop souffrante, qu’elle allait à l’hôpital, qu’elle ne lui disait pas où, parce qu’elle se fatiguerait à venir la voir, que dans huit jours elle serait revenue.