Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des têtes par la mode des premières années de la Révolution. La vieille femme couchée dans le lit ressemblait à cette figure. Elle avait les mêmes sourcils épais, noirs, impérieux, le même nez aquilin, les mêmes lignes nettes de volonté, de résolution, d’énergie. Le portrait semblait se refléter sur elle comme le visage d’un père sur le visage d’une fille. Mais chez elle la dureté des traits était adoucie par un rayon de rude bonté, je ne sais quelle flamme de mâle dévouement et de charité masculine.

Le jour qui éclairait la chambre était un de ces jours que le printemps fait, lorsqu’il commence, le soir vers les cinq heures, un jour qui a des clartés de cristal et des blancheurs d’argent, un jour froid, virginal et doux, qui s’éteint dans le rose du soleil avec des pâleurs de limbes. Le ciel était plein de cette lumière d’une nouvelle vie, adorablement triste comme la terre encore dépouillée, et si tendre qu’elle pousse le bonheur à pleurer.

— Eh bien ! voilà ma bête de Germinie qui pleure ? dit au bout d’un instant la vieille femme en retirant ses mains mouillées sous les baisers de sa bonne.

— Ah ! ma bonne demoiselle, je voudrais toujours pleurer comme ça ! c’est si bon ! ça me fait revoir ma pauvre mère… et tout !… si vous saviez !

— Va, va… lui dit sa maîtresse en fermant les yeux pour écouter, dis-moi ça…

— Ah ! ma pauvre mère !… La bonne s’arrêta.