Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/21

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talent, avait réussi au Concert Spirituel, à côté de Mme Todi, de Mme Ponteuil et de Mlle Saint-Huberti. La petite fille, née de ce mariage en 1782, était de pauvre santé, laide avec un grand nez déjà ridicule, le nez de son père, dans une figure grosse comme le poing. Elle n’avait rien de ce qu’aurait voulu d’elle la vanité de ses parents. Sur un fiasco qu’elle fit à cinq ans au forté-piano à un concert donné par sa mère dans son salon, elle fut reléguée parmi la domesticité. Elle n’approchait qu’une minute, le matin, sa mère qui se faisait embrasser par elle sous le menton, pour qu’elle ne dérangeât pas son rouge. Quand la Révolution arrivait, M. de Varandeuil était, grâce à la protection du comte d’Artois, payeur des rentes. Mme de Varandeuil voyageait en Italie, où elle s’était fait envoyer sous le prétexte de soigner sa santé, abandonnant à son mari le soin de sa fille et d’un tout jeune fils. Les soucis sévères du temps, les menaces grondant contre l’argent et les familles maniant l’argent, — M. de Varandeuil avait un frère fermier général, — ne laissaient guère à ce père très-égoïste et très-sec le loisir de cœur nécessaire pour s’occuper de ses enfants. Par là-dessus, la gêne commençait à entrer dans son intérieur. Il quittait la rue Royale et venait habiter l’hôtel du Petit-Charolais, appartenant à sa mère encore vivante, qui le laissait s’y établir. Les événements marchaient ; on était au commencement des années de guillotine, lorsqu’un soir, dans la rue Saint-Antoine, il marchait derrière un colporteur