Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/252

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tant qu’elle pourrait mettre un pied devant l’autre, elle suppliait qu’on la laissât aller. À dire cela, elle mit un accent si tendre, ses yeux priaient si bien, sa voix de malade était si humble et si passionnée dans sa demande, que mademoiselle n’eut pas le courage de la forcer à prendre quelqu’un. Elle la traita seulement « de tête de bois, de bête brute, » qui croyait, comme tous les gens de la campagne, qu’on est mort pour quelques jours passés au lit.

Se soutenant avec une apparence de mieux, due à la médication énergique du médecin, Germinie continuait à faire le lit de mademoiselle qui l’aidait à soulever les matelas. Elle continuait à lui faire à manger, et cela surtout lui était horrible.

Quand elle préparait le déjeuner et le dîner de mademoiselle, elle se sentait mourir dans sa cuisine, une de ces misérables petites cuisines de grande ville, qui font tant de femmes pulmoniques. La braise qu’elle allumait, et d’où se levait lentement un filet de fumée âcre, commençait à lui faire défaillir le cœur ; puis bientôt le charbon que lui vendait le charbonnier d’à côté, du fort charbon de Paris, plein de fumerons, l’enveloppait de son odeur entêtante. Le tuyau de tirage, crasse et rabattant, le manteau bas de la cheminée, lui renvoyaient dans la poitrine la malsaine respiration du feu et l’ardeur corrodante du fourneau à hauteur d’appui. Elle suffoquait, elle sentait le rouge et le chaud de tout son sang lui