Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/27

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rien, qu’il eut toutes les peines du monde à y renoncer plus tard, quand un peu plus d’argent fit retour à la maison : il fallut des batailles pour lui faire prendre une bonne qui remplaçât son enfant et épargnât à la jeune fille les travaux les plus humiliants de la domesticité.

On était sans nouvelles de Mme de Varandeuil, qui s’était refusée à venir retrouver son mari à Paris pendant les premières années de la Révolution ; bientôt l’on apprenait qu’elle s’était remariée en Allemagne, en produisant comme l’acte de décès de son mari l’acte de décès de son beau-frère guillotiné, dont le prénom avait été changé. La jeune fille grandit donc, abandonnée, sans caresses, sans autre mère qu’une femme morte à tous les siens et dont son père lui enseignait le mépris. Son enfance s’était passée dans une anxiété de tous les instants, dans les privations qui rognent la vie, dans la fatigue d’un travail épuisant ses forces d’enfant malingre, dans une attente de la mort qui devenait à la fin une impatience de mourir : il y avait eu des heures où la tentation était venue à cette fille de treize ans de faire comme des femmes de ce temps, d’ouvrir la porte de l’hôtel et de crier dans la rue : Vive le Roi ! pour en finir. Sa jeunesse continuait son enfance avec des ennuis moins tragiques. Elle avait à subir les violences d’humeur, les exigences, les âpretés, les tempêtes de son père, un peu matées et contenues jusque-là par le grand orage du temps. Elle restait vouée aux fatigues et aux humi-