Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/29

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Presque chaque fois, c’étaient des scènes avec le contrôleur, des prises de langue avec des gens du parterre, des menaces de coups de poing qu’elle arrêtait en faisant tomber dessus la grille de la loge. Cela continuait dans la rue, jusque dans le fiacre, avec le cocher qui ne voulait pas rouler pour le prix de M. de Varandeuil, le laissait attendre une heure, deux heures, sans marcher, parfois d’impatience dételait et le laissait dans la voiture avec sa fille qui le suppliait vainement de céder et de payer.

Jugeant que ces plaisirs devaient suffire à Sempronie, jaloux d’ailleurs de l’avoir toute à lui et toujours sous la main, M. de Varandeuil ne la laissait se lier avec personne. Il ne l’emmenait pas dans le monde ; il ne la menait chez leurs parents revenus de l’émigration qu’aux jours de réception officielle et d’assemblée de famille. Il la tenait liée à la maison : ce fut seulement à quarante ans qu’il la jugea assez grande personne pour lui donner la permission de sortir seule. Ainsi nulle amitié, nulle relation pour soutenir la jeune fille : elle n’avait plus même à côté d’elle son jeune frère parti pour les États-Unis et engagé au service de la marine américaine.

Le mariage lui était défendu par son père, qui n’admettait pas qu’elle eût seulement l’idée de se marier, de l’abandonner : tous les partis qui auraient pu se présenter, il les combattait et les repoussait d’avance, de façon à ne pas même laisser