Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/107

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teur de l’Illustration, est mort d’une attaque d’apoplexie, à Strasbourg.

C’était un brave et gros et rude garçon, qui, dans les milieux parisiens, s’était conservé paysan de sa province, avait gardé le lourd accent vosgien, vous accostait d’un coup de poing et d’une franche poignée de main.

Peu élégiaque de sa nature, il aimait les fortes joies, et la bière et le vin et l’eau-de-vie, et, quand il était gris, disait avec un accent tout plein d’un gaudissement sensuel : « Je suis ramplan ! » Et rien n’était si drolatique, au bal masqué, que sa courte personne costumée en Alsacien, avec un gros bonnet de fourrure sur la tête, des bretelles rouges au dos : il avait l’air d’un poussah qui tiriliserait, aurait dit Henri Heine.

Je le revois dans son atelier de la rue Navarin : la grande estampe de la Conversation galante, de Lancret sur un mur ; sur un autre, des costumes et des coiffures de la vieille Alsace, parmi lesquels une garniture de tête, en fleurs artificielles, de danseuse espagnole, donnée par une célébrité chorégraphique de Madrid, tenait la place d’honneur ; puis l’immense table avec l’amoncellement de bois vierges ou dessinés dans leurs papiers de soie, et son grand plat de vieille faïence enfermant une gerbe de pipes merveilleusement culottées.

Et encore, dans cet atelier, traînaient sur un vieux divan, deux bouquins à la reliure tout usée, les seuls et uniques livres du logis : une Bible dont