Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/181

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c’est si inutile !… Là, j’écris posément comme un écrivain public… Je ne vais pas vite, — il m’a vu écrire, lui, — mais je vais toujours, parce que, voyez-vous, je ne cherche pas le mieux. Un article, une page, c’est une chose de premier coup, c’est comme un enfant : ou il est, ou il n’est pas. Je ne pense jamais à ce que je vais écrire. Je prends ma plume et j’écris. Je suis homme de lettres, je dois savoir mon métier. Me voilà devant le papier : c’est comme un clown sur le tremplin… Et puis, j’ai une syntaxe très en ordre dans la tête. Je jette mes phrases en l’air… comme des chats, je suis sûr qu’elles retomberont sur leurs pattes. C’est bien simple, il n’y a qu’à avoir une bonne syntaxe. Je m’engage à montrer à écrire à n’importe qui. Je pourrais ouvrir un cours de feuilleton en vingt-cinq leçons !… Tenez, voilà de ma copie : pas de rature… Tiens, Gaiffe, eh bien ! tu n’apportes rien ?

— Ah ! mon cher, c’est drôle, je n’ai plus aucun talent, et je reconnais ça, parce que maintenant je m’amuse de choses crétines… C’est crétin, je le sais, eh bien ! ça ne fait rien, ça me fait rire… Pour moi, la littérature est un état violent dans lequel on ne se maintient que par des moyens excessifs.

— Tu étais talenteux, toi, pourtant ?

— Moi, je n’aime plus qu’à me rouler dans les créatures.

— Il ne te manque plus que de boire !

— Merci, si je buvais… j’aurais des fibrilles bleues dans le nez… les folles courtisanes ne m’ai-