Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/245

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7 mars. — … Un individu étrange avec lequel Gavarni se fait une fête de dîner un de ces jours. C’est un Italien, au passé inconnu, vivant autrefois à Londres où il tirait de connaissances, à peu près tous les jours, de quoi risquer quelques schellings dans les maisons de jeu de la populace. Habitué d’un tripot où il était défendu de dormir, et où il n’y avait rien pour s’asseoir, on l’appelait la mouche, par l’habitude qu’il avait prise de dormir, appuyé contre les murs. Un soir, le jeu s’avive, et un souverain tombe de la table et roule jusqu’à lui. Il avance un pied nu sous une botte qui n’avait guère que le dessus, et saisissant la pièce d’or avec l’orteil, il reste jusqu’au matin, sans le ramasser, de peur d’être soupçonné. Le matin, pour la première fois de sa vie, se trouvant au monde avec un souverain dans sa poche, cet homme, qui ne se couchait jamais, songea à coucher dans un lit. Il frappe à une maison garnie, où il est reçu. À dix heures il est réveillé par la bonne qui lui demande s’il veut déjeuner avec ses maîtresses, deux vieilles governess. Il plaît, devient, quelques jours après, l’amant de l’une, l’épouse, donne bientôt à toutes les deux le goût du jeu, et les ruine. Puis quand il les a ruinées, il fait convertir sa femme au catholicisme, puis sa belle-sœur, et, de l’argent reçu des lords catholiques, tente le jeu à Hombourg, gagne 200,000 francs, reperd et maintenant… Savez-vous ce qu’il fait ? Il va de cabaret en cabaret, autour de la barrière de l’Étoile, organiser une société de jeu parmi les compagnons maçons, pour laquelle il