Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/307

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les folies qui jaillissent de sa faible cervelle, ne lui sont pas tout à fait personnelles : elles lui sont apportées par le courant des choses, elles lui sont soufflées par le vent des idées dans l’air.

— Nous n’allons qu’à un théâtre. Tous les autres nous ennuient et nous agacent. Il y a un certain rire du public à ce qui est vulgaire, bas et bête, qui nous dégoûte. Le théâtre où nous allons est le Cirque. Là, nous voyons des clowns, des sauteurs, des franchisseuses de cercles de papier, qui font leur métier et leur devoir : au fond, les seuls acteurs dont le talent soit incontestable, absolu comme les mathématiques ou mieux encore comme le saut périlleux. Car, en cela, il n’y a pas de faux semblant de talent : ou on tombe ou on ne tombe pas.

Et nous les voyons, ces braves, risquer leurs os dans les airs pour attraper quelques bravos, nous les voyons avec je ne sais quoi de férocement curieux en même temps que de sympathiquement apitoyé, — comme si ces gens étaient de notre race, et que tous, bobêches, historiens, philosophes, pantins et poètes, nous sautions héroïquement pour cet imbécile de public… Au fait, quelqu’un a-t-il jamais vu une femme faire le saut périlleux, et la grande supériorité de l’homme serait-elle en cette seule et unique chose ?

— Dans les troubles de l’art, à la fin des vieux siècles, quand les nobles doctrines sont mourantes, et que l’art se trouve entre une tradition perdue et