Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/323

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notes qu’il a prises, disant : « Savez-vous toute mon ambition ? Je demande à un honnête homme, intelligent, de s’enfermer quatre heures avec mon livre, et je lui donne une bosse de haschisch historique. C’est tout ce que je demande. »

Puis il ajoute sur une note mélancolique : « Après tout, le travail, c’est encore le meilleur moyen d’escamoter la vie ! »

Dimanche 22 janvier. — Nous montons l’escalier d’une maison du boulevard Saint-Martin. Au premier nous frappons à une porte d’appartement. On demande qui est là. Nous nous nommons. On ouvre. Et nous voici dans la loge de Lagier, puis dans la loge de Lia Félix. Quatre becs de gaz donnent dans la petite pièce une chaleur stupéfiante : c’est l’atmosphère d’un bain maure. Là-dedans, la pensée s’engourdit, le sentiment de la réalité des personnes et des choses s’en va, et l’on reste somnolent, les yeux ouverts, pendant que vos doigts tripotent machinalement toutes les choses de la toilette et du maquillage.

Dans cette espèce d’hébétement, on voit les actrices venir, sortir, comme à un appel invisible, aller à quelque chose de lointain, d’où s’échappe un murmure profond comme une clameur d’océan. Et tout ce mouvement autour de vous fait l’effet d’une agitation automatique, et le coin de foyer qu’on entrevoit, vous montre, assis sur la banquette, des personnages en costumes, les bras tombants comme des marionnettes aux ficelles cassées. Et l’on est entouré