Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/333

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sent « une force magistrale », il n’y a pas une gazette, une revue petite ou grande qui soit venue à nous, et nous nous demandons si le prochain roman que nous publierons, nous ne serons pas encore obligés de le publier à nos frais ; — et cela quand les plus petits fureteurs d’érudition et les plus minces écrivailleurs de nouvelles, sont édités, rémunérés, réimprimés.

Dimanche 11 mars. — On sort de table… Femme au délicat profil, au joli petit nez droit, à la bouche d’une découpure si spirituelle, à la coiffure de bacchante donnant aujourd’hui à sa physionomie une grâce mutine et affolée, femme aux yeux étranges qui semblent rire, quand sa parole est sérieuse. Toutes les femmes sont des énigmes, mais celle-ci est la plus indéchiffrable de toutes. Elle ressemble à son regard qui n’est jamais en place, et dans lequel passent, brouillés en une seconde, les regards divers de la femme. Tout est incompréhensible chez cette créature qui peut-être ne se comprend guère elle-même ; l’observation ne peut y prendre pied et y glisse comme sur le terrain du caprice. Son âme, son humeur, le battement de son cœur a quelque chose de précipité et de fuyant, comme le pouls de la Folie. On croirait voir en elle une Violante, une de ces courtisanes du XVIe siècle, un de ces êtres instinctifs et déréglés qui portent comme un masque d’enchantement, le sourire plein de nuit de la Joconde. Il y a souvent comme la tombée d’une larme