Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/354

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porter la petite boîte de parfumerie, où il cherche l’eau de Cologne et la pommade qu’il veut me vendre. À tout moment, il les pose devant moi, en s’appuyant dessus, prêt à tomber ; et ses yeux s’ouvrant de plus en plus, le vieux soldat de Blucher, de cette voix qui semble sortir d’un trou, de cette voix de son passé, un murmure comme un cri de dessous la neige, me bredouille en français : « Entré à Paris ! »

On respire ici, dans cette ville nocturne, un air d’Hoffmann.

Samedi 8 septembre. — … Battant les rues, cette nuit, nous rencontrons deux jeunes filles, portant ces chapeaux qu’on voit dans les estampes à l’aquateinte d’après Lawrence, ces grands chapeaux d’où pend une dentelle noire, dont les pois semblent faire danser sur la figure des femmes des grains de beauté… Nous nous attablons avec elles, dans un jardin de café, et leur offrons une glace, un fruit, n’importe quoi. Ces deux jeunes filles toutes blondes, au bleu sourire des yeux, et dont l’une a le type angélique d’une vierge de Memling, se font apporter deux côtelettes de veau… « Elles ont leurs mères, » disent-elles, et nous voici dans un gasthaus d’un faubourg de Berlin, ténébreux comme la caverne de Gil Blas, et verrouillé de serrureries et de ferronneries comme un vieux burg, et servis par un garçon considérant ces femmes avec l’air à la fois niais, cocasse et sensuel de Pierrot, regardant, par une fente, l’intérieur d’une école de natation de femmes… Chez la jeune fille au type de