Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/402

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la vie vivante, à la rue, aveugle aux passants, aveugle à la beauté artistique des êtres et des aspects, regardeur uniquement de tableaux et de statues.

 

Un être sans fantaisie, sans appétit passager d’une bouteille de bon vin, incapable d’excès, effrayé par les livres de médecine qui défendent les moules et l’amour après dîner, superstitieux jusqu’à retourner votre pain quand il n’est pas à plat.

Violent en paroles avec une grande faiblesse de caractère, avec des désespoirs enfantins à propos de rien, lui faisant monter les larmes aux yeux, traversé de caprices, de boutades, d’humeurs qui ont quelque chose de malaises physiques, — et souvent s’absorbant en des enfoncements qui lui viennent, m’a-t-il dit, d’un an de solitude passé à Rome, à l’âge de treize ans, époque où toute sa vivacité expansive d’enfant, est rentrée chez lui comme une gourme… Un garçon paraissant avoir toujours vécu seul, tant son corps est égoïste, et qui prend tout le trottoir s’il marche avec vous, et vous entre, en chemin de fer, les coudes dans les côtes.

Maintenant, charmant de simplicité, sans tyrannie en voyage, et gai de la joie d’un collégien en vacances, et charmeur à la fois autant par les grandes idées qu’il remue, que par la grâce ingénue de sa plaisanterie et de ses imitations naïvement maladroites de la pratique de M. Prud’homme ou du gnouf, gnouf de Grassot, il est pour nous, si gâtés par notre ménage, le seul compagnon de voyage presque absolument