Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/56

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lui, il n’y avait aucun délit dans notre article, mais qu’il avait été forcé de poursuivre sur les ordres réitérés du ministère de la police, sur deux invitations de Latour-Dumoulin ; qu’il nous disait cela d’homme du monde à homme du monde, et qu’il nous demandait notre parole de ne pas en faire usage dans notre défense. Et cet homme qui avait de la fortune, qui avait beaucoup de mille livres de rente, allait demander le maximum de la peine pour un délit dont nous n’étions pas coupables. Il nous le déclarait naïvement, cyniquement en face.

— « Quelles canailles que tout ce monde ! » dit mon oncle sur le pas de la porte.

Ce qu’il voyait, ce qu’il entendait, la déclaration de ce substitut, les dénégations de Latour-Dumoulin qui lui avait dit travailler à arrêter les poursuites, tout cela, le sortant de son égoïste optimisme, faisait tout à coup, ainsi que du feu d’un caillou, jaillir de l’indignation de ce vieux bourgeois habitué par sa longue vie à ne s’indigner de rien.

De là, nous allions tous deux chez Latour-Dumoulin, désireux d’avoir une explication avec lui. On nous faisait attendre assez longtemps dans une antichambre, où un garçon de bureau lisait un livre de M. de La Guéronnière devant un portrait de l’Empereur à demi emballé pour une sous-préfecture. Et quand nous entrions, nous avions l’air de si mauvaise humeur que, se méprenant sur notre démarche, il croyait que nous venions le provoquer en duel. Alors c’était une défense maladroite de