Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/67

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Dans les premiers temps de son séjour à Barbizon, un jour qu’il se promenait avec Jacques, des paysans en train de faucher se mirent à se moquer d’eux, à blaguer les Parisiens. Millet s’approche d’eux, fait la bête, demande si une faux ça coupe bien, et si c’est difficile de faire ce qu’ils font, puis prend la faux, et la lançant à toute volée, donne une leçon aux paysans éplafourdis.

Pendant que nous sommes à Veules, un matin, tombe chez les Leroy, Jacques qui vient passer une journée avec nous. Il est en habit noir et en chapeau tuyau de poêle qu’il ne quitte jamais et qu’il a perpétuellement sur la tête, quand il peint, quand il mange. Il tire de sa poche un petit album, grand comme un carnet de visite, et sur lequel il nous fait voir une vingtaine de lignes géométrales qui sont les plans des terrains, les lignes des horizons, qu’il est en train de prendre depuis une dizaine de jours. Lui, l’habile et le spirituel crayonneur, le brillant et savant aquafortiste, le maître au cochon, affecte doctoralement de répudier toutes les habiletés, les adresses, les procédés, tout ce dont est fait son petit, mais très réel talent, pour n’estimer que les maîtres primitifs, les maîtres spiritualistes, et ne reconnaître dans toute l’école moderne qu’un seul homme : M. Ingres.

Puis, Mme Leroy couchée, il quitte l’Hymalaya de l’esthétique, descend à des sujets plus humains, et nous donne les détails d’une enquête faite par un médecin de ses amis qui, depuis vingt ans, interroge