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ANNÉE 1855




Janvier 1855. — Je retrouve une maîtresse de ma dernière année de collège, que j’ai beaucoup désirée et un peu aimée. Je me la rappelle rue d’Isly, dans ce petit appartement au midi, où le soleil courait et se posait comme un oiseau. J’ouvrais le matin au porteur d’eau. Elle allait, en petit bonnet, acheter deux côtelettes, se mettait en jupon pour les faire cuire, et nous déjeunions sur un coin de table, avec un seul couvert de ruolz, et buvant dans le même verre. C’était une fille comme il y en avait encore dans ce temps-là : un reste de grisette battait sous son cachemire de l’Inde.

Je l’ai rencontrée ; c’est toujours elle avec les yeux que j’ai aimés, son petit nez, ses lèvres plates et comme écrasées sous les baisers, sa taille souple, — et ce n’est plus elle. La jolie fille s’est rangée, elle vit bourgeoisement, maritalement avec un photo-