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— Le pas d’un mendiant, auquel on n’a pas donné, et qui s’en va, vous laisse son bruit mourant dans le cœur.

— De quoi est faite très souvent la renommée d’un homme politique ? — de grandes fautes sur un grand théâtre ! C’est être un grand homme d’État que de perdre une grande monarchie. On mesure l’homme à ce qu’il entraîne avec lui.

— Une scène qui se passe devant moi à la Bibliothèque, et qui juge M. Thiers, ses livres et l’universalité de sa gloire.

Un quidam arrive : « Je voudrais un roman. — On ne donne pas de romans. — Eh bien, alors, donnez-moi M. Thiers ! — Quel ouvrage ? — L’Histoire de France. — Il n’a pas fait d’histoire de France. — Alors, l’Histoire d’Angleterre. — Il n’a pas fait d’histoire d’Angleterre. »

Là-dessus le quidam s’en est allé avec un grand désappointement sur la figure.

10 janvier. — L’art n’est pas un, ou plutôt il n’y a pas un seul art. L’art japonais a ses beautés comme l’art grec. Au fond, qu’est-ce que l’art grec : c’est le réalisme du beau, la traduction rigoureuse du d’après nature antique, sans rien d’une idéalité que lui prêtent les professeurs d’art de l’Institut, car le torse du Vatican est un torse qui digère humainement, et non un torse s’alimentant d’ambroisie, comme voudrait le faire croire Winckelmann.