Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

engloutis, aussi abîmés que nous, dans les choses de l’art et de l’intelligence. Là où ça fait défaut, il nous manque quelque chose comme la respiration. Des livres, des dessins, des gravures bornent l’horizon de nos yeux. Feuilleter, regarder, nous passons notre existence à cela : Hic sunt tabernacula nostra. Rien ne nous en tire, rien ne nous en arrache. Nous n’avons aucune des passions qui sortent l’homme d’une bibliothèque, d’un musée, — de la méditation, de la contemplation, de la jouissance d’une idée ou d’une ligne ou d’une coloration.

L’ambition politique, nous ne la connaissons pas, l’amour n’est pour nous, selon l’expression de Chamfort, que « le contact de deux épidermes ».

Vendredi 21 février. — Nous dînons avec Flaubert chez les Charles Edmond. La conversation tombe sur ses amours avec Mme Colet. Flaubert déclare que l’histoire de l’album, dans son livre Elle et lui, est complètement fausse. Il a le reçu, un reçu de 800 francs. Point d’amertume, point de ressentiment du reste chez lui contre cette femme, qui semble l’avoir enivré avec son amour de folle furieuse. Il y a une truculence de nature dans Flaubert, se plaisant à ces femmes terribles de sens et d’emportements d’âme, qui nous semblent devoir éreinter l’amour à coups de grosses émotions, de transports brutaux, d’ivresses forcenées.

Un jour, elle est venue le relancer jusque sous le toit maternel, et elle a exigé une explication, en pré-