Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/258

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l’homme. L’idée est fine, délicate, acérée, quelquefois subtile, toutefois expliquée, éclairée par des mots qui se font attendre, mais qui ont toujours la bonne fortune des expressions d’un joli esprit étranger parlant le français.

Il parle de Bakounine, de ses onze mois au cachot, enchaîné à un mur, de sa fuite en Sibérie par le fleuve Amour, de son parcours de la Californie, de son arrivée à Londres, où, après avoir, un moment, transpiré entre ses bras, son premier mot a été : « Y a-t-il des huîtres ici ? »

La Russie, selon Herzen, est menacée d’un démembrement prochain… L’empereur Nicolas, dit-il, n’était qu’un caporal, et il nous cite des traits qui nous le font apparaître comme le Christ de la consigne, cet empereur, que beaucoup de Russes disent s’être empoisonné, après les désastres de la Crimée. Il le montre, après la prise d’Eupatoria, se promenant dans le Palais, la nuit, avec ce pas de pierre qu’il avait, ce pas de la statue du Commandeur, et allant tout à coup à un soldat montant la garde, lui arrachant son fusil, et lui-même agenouillé en face du soldat, lui criant : « À genoux… Prions pour la victoire ! »

Puis sur les mœurs de l’Angleterre, pays qu’il aime comme un pays de liberté, il nous cite de curieuses anecdotes. Un domestique, que Tourguéneff avait placé dans le ménage Viardot, et auquel il demandait la raison pour laquelle il en était sorti, lui fit cette belle réponse : « Ce ne sont pas des gens