Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/279

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Le soir après dîner chez Marcille, qui nous fait défiler devant les yeux des cartons de portraits en manière noire de Lawrence, il nous faut de la politesse pour ne pas crier : « Merci ! Assez » ! Les émotions de ces jours-ci nous donnent le brisement de beaucoup d’heures, passées en chemin de fer. Et c’est une fatigue qu’on ne peut endormir. Nous entendons sonner toutes les heures de la nuit avec le sentiment d’un épigastre tiraillé et douloureux.

Tous ces temps-ci, absence totale d’attention aux choses matérielles. On ne sait plus ce que fait son corps. On ne se sent plus s’habiller, manger, vivre.

Dimanche 7 mai. — Thierry nous a remis la liste des sociétaires, nous conseillant de faire une visite à Got, avec lequel nous avons dîné chez Charles Edmond. Ces comédiens sont champêtres, bocagers, hommes de banlieue. Il faut aller les joindre au bout de stations de chemin de fer, à Courcelles, à Passy, à Auteuil, en tous ces endroits de villégiature, où ces hommes ont de charmantes habitations avec le décor d’un bout de nature.

Nous trouvons Got, au milieu de fraîches verdures à lui, tout botté et éperonné…

Après ma tournée, je retombe dans la journée chez Flaubert, où je me couche sur son grand divan, et dans la rêvasserie inquiète où je suis plongé, j’entends, ainsi que dans le lointain, la voix enrouée et mate du sculpteur Préault, laisser tomber des histoires, des anecdotes, des mots spirituels.