Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/286

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— Un phénomène de ce temps, c’est que la valeur la plus positive, la plus réalisable, est l’objet d’art. La curiosité est devenue une valeur plus sûre que la rente, que la terre, que l’immeuble.

— Préault, devant lequel nous nous étonnions de la résistance à la fatigue de l’Empereur, dans ses voyages de représentation, de gala, nous dit : « Il a le torse d’un colosse. Ces torses-là ne se fatiguent jamais ! »

— Ces jours-ci, notre femme de ménage se laisse aller à nous dire, ainsi qu’une brute, dont jaillirait une idée intelligente : « Oh ! vous, vous vous creusez la tête pour trouver le mystère de la nature, mais vous ne le trouverez jamais ! »

Le mystère de la nature ! mot énorme par tout le vague que cela me semble remuer dans les idées de cette femme sur nos occupations.

6 juin. — Il nous vient un dégoût, presque un mépris des dîneurs de Magny. Penser que c’est la réunion des esprits les plus libres de la France, et cependant en dépit de l’originalité de leur talent, quelle misère d’idées bien à eux, d’opinions faites avec leurs nerfs, avec leurs sensations propres, et quelle absence de personnalité, de tempérament ! Chez tous, quelles peurs bourgeoises de l’excessif ! Ce soir, nous avons failli nous faire lapider pour soutenir que Hébert, l’auteur du Père Duchêne — que du reste personne de la table n’a lu — avait du