Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/334

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avec un battement de cœur, nous ont totalement échappé. Puis, tout étonnés, nous entendons un sifflet, deux sifflets, trois sifflets, une tempête de cris à laquelle répond un ouragan de bravos.

Nous sommes dans un coin de coulisse, adossés à un portant, parmi les masques, et, en passant, il nous semble que les figurants nous jettent des regards apitoyés. Et on siffle toujours, et on applaudit aussi.

La toile baisse, nous sortons sans paletot, et nous avons chaud aux oreilles. Le second acte commence. Les sifflets reprennent avec rage, mêlés à des cris d’animaux, à des imitations des intonations des acteurs. On siffle tout, jusqu’à un silence de Mme Plessy. Et la bataille continue entre les acteurs, soutenus par une partie de l’orchestre et presque la totalité des loges où l’on applaudit, et le parterre et tout le poulailler qui veulent, à force de cris, d’interruptions, de colères, de blagues du Petit-Lazari, faire tomber la toile.

« Ah ! c’est un peu secoué ! » nous dit Got, deux ou trois fois. Nous restons, pendant tout ce temps, adossés à notre portant, recevant les bordées de sifflets en pleine poitrine, pâles, nerveux, mais debout, ne bronchant pas, forçant, par notre présence entêtée, les acteurs à aller jusqu’au bout.

Le coup de pistolet est tiré. La toile tombe dans la clameur d’une émeute. Je vois passer Mme Plessy qui sort de scène avec le courroux d’une lionne, rugissant des injures contre ce public qui l’a insultée. Et derrière la toile du fond, nous entendons,