Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/40

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lontaires, une pièce qui inquiète l’Europe, une pièce à la fin de laquelle Paris attend une émeute, une pièce où les titis doivent crier bis à l’abdication de Napoléon Ier. Rien de tout cela n’est arrivé. L’ennui a désarmé la passion politique. La pièce aurait endormi une révolution. Canova fit un jour un lion en beurre, Séjour a fait un Napoléon en guimauve.

Dans la loge à côté, où est Gramont-Caderousse, avec Marguerite Bellanger, j’ai près de moi, coude à coude, Anna Deslions, toujours belle, pacifique et superbe à la façon d’une Io. Elle est en grand deuil de sa mère. Il y a cette année une épidémie sur les mères de ses pareilles… Elle me dit qu’elle regrette bien que nous n’ayons pas fait connaissance avec elle, quand elle était notre voisine, que nous aurions vu, nous qui écrivons, des choses bien curieuses chez elle. Puis, causant de sa vente et du peu de chic de son cabinet de toilette, après qu’elle m’a dit qu’il lui faudrait un hôtel, un hôtel dans lequel elle ferait faire une piscine en marbre où elle recevrait… elle s’interrompt, songeuse, et reprend, joliment souriante, qu’elle est arrivée à la réalisation de son rêve : une mansarde, — et elle va avoir cela à Neuilly, et elle passera tout son temps à faire de la tapisserie sous les saules.

« Vous savez, moi, dit-elle, je n’ai jamais été au-devant de tout ça. C’est arrivé tout seul. Je n’ai pas cherché à être riche. Quand l’argent est venu, j’en ai profité, voilà tout ! »

Elle dit vrai. Il existe chez cette femme le véri-