Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/137

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monde qui nous ait donné la sensation complète et absolue du chef-d’œuvre. Pour nous, c’est au-dessus de tout, à vingt mille pieds au-dessus de la Vénus de Milo. Il nous confirme dans cette idée, déjà instinctive en nous, que le suprême Beau est la représentation de génie exacte de la Nature, que l’Idéal qu’ont cherché à introduire dans l’art, les talents inférieurs et incapables d’atteindre à cette représentation, est toujours au-dessous du vrai. Oui, c’est le sublime divin de l’art que ce Torse qui tire sa beauté de la représentation vivante de la vie, avec ce morceau de poitrine qui respire, ces muscles en travail, ces entrailles palpitantes dans ce ventre qui digère : — car c’est sa beauté de digérer contrairement à l’assertion de cet imbécile de Winckelmann qui croit relever et exhausser ce chef-d’œuvre, en disant qu’il ne digère pas.

Le découragement tombe de là sur tout ce qu’on a vu, comme un écrasement. C’est l’œuvre unique sortie d’une main d’homme, au delà de laquelle on ne rêve rien.

17 mai. — À bord de l’Hermus. Sur ma couchette, après avoir lu du Joubert. Des pensées si fines, qu’elles ressemblent à des ailes d’insectes disséquées. En somme Joubert est le La Bruyère du filigrane.

18 mai. — Marseille, c’est encore de l’Italie. Sur