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Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/156

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— Jamais un homme, si riche qu’il soit, n’achètera un bel enfant, une belle petite fille, pour avoir sous les yeux un chef-d’œuvre de nature, de l’art de Dieu. Il préférera toujours acheter un tableau, une statue, quelque chose que l’on revend, et où on retrouve sa mise.

— Table d’hôte de l’hôtel de Madrid à Vichy.

Au bout de la table, en haut, un ménage d’origine mexicaine, d’insulaires venus d’une Canarie quelconque : la femme, une vraie femelle avec une tête de bonne singesse, une peau café au lait, les bras comme des antennes de sauterelles, des gestes pour découper qui lui retournent les mains à la façon de pattes, horriblement maigre, séchée, ratatinée sous son châle de petite fille, couleur caca d’oie, et attaché à son cou par une immense plaque, remplie par la photographie de son mari ; on croirait voir une contemporaine de Montezuma, exhumée de ces cruches mexicaines, où l’on empote les morts.

À côté une espèce de vieux petit mayeux bordelais, le menton dans son assiette, au fausset inouï, aux notes comiques de casse-noisette, le soprano du gazouillement, et sa femme, une figure qui fait penser à la Reine des Merlans dans une féerie.

Après un jeune Hollandais et sa mère, tous deux juifs, tous deux comme éclairés par le reflet du soleil des juifs, la pièce d’or derrière le grillage des changeurs ; le jeune homme, un brun à barbe