Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On déjeune, puis on passe fumer dans la vérandah, où souvent la princesse allume le cigare des fumeurs, en injuriant la puanteur du tabac. C’est le grand moment de la causerie, la digestion du peu qu’elle a mangé, semble faire jaillir de la princesse, une expansion vivace de récits, de souvenirs, de portraits des gens à l’emporte-pièce, des débâcles de phrases à la Saint-Simon.

Vers les une heure, elle passe dans son atelier, et travaille elle-même, sérieusement, conseillée par Giraud, sa vieille Giraille, dans son dos. En ce moment elle est fort occupée des albums japonais, dont elle transporte les fleurs et les oiseaux, sur les feuilles d’un paravent de soie.

Vers les cinq heures, la princesse à laquelle la tension du travail met un peu le sang à la tête, sort avec tout son monde, quelquefois en voiture. Et l’on va à Soisy, à Eaubonne, ou à quelque autre endroit de la vallée de Montmorency. Le plus souvent c’est un tour du lac, où les jeunes escortent sa barque sur des périssoires, ou bien encore elle entraîne dans les allées du parc un groupe, auquel elle jette en marchant, et en retournant un bout de profil, une conversation coupée, à tous moments, par un grand cri d’appel : Tine, Tine, ou : Tom, Tom, — un cri d’appel à un de ses roquets perdu dans un massif.

Rentrée, elle s’habille en un quart d’heure, et elle est presque toujours la première femme descendue, en toilette, au salon.

Nous avons passé trois semaines à vivre cette vie.