Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/271

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— Touchée de nos procédés gentilshommes, lors de la vente de sa maison, Mme de Tourbet a tourmenté Flaubert pour nous amener dîner chez elle. Un appartement riche et banal ressemblant à ces appartements meublés, qu’on loue aux provinciaux pour le mariage d’une fille riche. Un vrai carnaval d’invités… Paradol, Flaubert, Gautier, Girardin, lugubre et cassé, avec sa tête de mort et sa mèche posée comme un accroche-cœur sur un crâne. La maîtresse de maison pleine de grâce coquette, mais un peu trop préoccupée de faire de son appartement un petit hôtel Rambouillet du XIXe siècle. On joue à de petits jeux d’esprit innocents et érotiques. Mme de Tourbet jette aux convives le mot malthusianisme et en demande la définition à la ronde ; et chacun, le couteau de l’improvisation sous la gorge, dit à peu près une saleté ou une bêtise…

31 janvier. — Dans le monde. Toujours les mêmes passants, les mêmes allants, les mêmes venants, les mêmes poignées de main, les mêmes politesses et saluts mécaniques, et la même impression d’indifférence, de sécheresse et de détachement dans tous ces salamalecs convenus, souriants et mornes. Un tel oubli et une telle absence, qu’on se dit deux fois : « Bonjour, » sans se souvenir de la première. Derrière l’amabilité figée des figures, tous ces figurants du monde enfoncés dans l’absorption égoïste de leur moi, qu’ils dissimulent sous le badinage vague du