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Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/288

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épouvantante. C’est une pensionnaire des Incurables, chargée de 80 ans, dont on ne voit sous sa capuce noire et son abat-jour, qu’un nez camard et un peu de peau blême. On ne rêverait pas autrement la Mort-maquerelle !

L’accusé principal est calme, et d’un sang-froid sec ; seulement son visage, à mesure que s’engage le débat, et qu’il ferraille, sans repos et debout, contre le long interrogatoire du président, son visage semble maigrir et se creuser sous le tiraillement des nerfs. À la déposition des témoins, il a des inquiétudes des yeux animales, des mordillements de moustaches, des crispations de coins de lèvres qui lui tournent un moment la bouche de côté, comme dans un plâtre de guillotiné.

Que c’est donc beau la vraie émotion et le poignant de la réalité d’une sincère douleur ! Il y a un imbécile de père qui dépose d’une voix lente et basse, avec des silences réfléchissants et vides, où il polit machinalement de son gant, la barre du tribunal, qui dépose avec des absences d’une mémoire qui semble avoir sombré dans le chagrin, avec des arrêts de la voix, pendant lesquels l’homme se passe lentement la main sur la figure et devant les yeux, pour en chasser quelque chose, avec des « ah ! » qui sont comme des réveils en sursaut, à un coup qu’on lui frapperait au cœur.

Oh ! comme ce père, en parlant de ses deux filles, a dit, sans se savoir sublime : « Oui, déshonorées… je les aimerais mieux mortes ! »