Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/76

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blesseront. Et puis vous êtes juif, je n’aime pas les juifs. C’est un sacrifice pour moi que d’en saluer un. Je demande un peu ce que je gagne à ce que vous me reconnaissiez ? »

Et tout en me reprochant de n’avoir pas le courage et le front de lui dire cela, — le fond de ma pensée, — je pensais à ce grand type pour notre théâtre, d’un homme, d’un cynique, qui ferait fi de toute politesse, penserait tout haut, dirait à chacun ce qu’on cache, et servirait à tout le monde cette franchise terrible dans de la brutalité d’esprit.

— De singulières existences dans ce Paris. On me parle d’une famille avec un rien de petite rente, consacrant tout son pauvre argent au plaisir du spectacle, se privant d’une femme de ménage, se salissant les doigts aux plus gros ouvrages, et assistant, le soir, en gants propres, aux premières représentations, — famille connue de toutes les ouvreuses, en relation avec tous les buralistes, et même les sergents de ville, qui ont servi dans le régiment où le père était major.

Dans cette famille, une fille portant le nom d’Élodie, encore plus folle de théâtre, plus assoiffée de premières, que sa mère et ses tantes, et qui, à la Contagion, faisait queue au milieu d’étudiants, depuis dix heures du matin, se faisant garder sa place, pendant qu’elle déjeunait dans un café voisin, et dînant avec des gâteaux que les étudiants lui allaient chercher.