Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/107

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les arbustes de mon jardin : cela quand le dehors est si grandement curieux.

Ce soir, je vais au Luxembourg. Dans l’obscurité de sa noire grandeur, avec l’unique réverbère qui éclaire sa cour d’honneur, je ne sais quel air de vétusté prend le palais de Rouher : il semble le domicile non de choses d’hier, mais de très vieilles choses mortes. Il n’y a pas jusqu’aux rangées de baquets, déposés contre ses murs, qui ne lui donne le pittoresque ruineux d’un casino romain, dessiné par Hubert Robert.

En la rue de Tournon, toute obscurée, un trou de lumière sous un auvent, où pendent des choux-fleurs et des paquets d’aulx. Un rassemblement d’affamés devant… C’est une fruitière dont l’étal, à moitié répandu sur le trottoir, montre, dans une mare de sang, deux grands cerfs, le cou entaillé, et les entrailles jetées dehors, comme pour une curée. Dans une petite baignoire d’enfant, à la surface de l’eau vagueuse, d’énormes carpes pressent leurs museaux bleuâtres. Et à la lueur d’une chandelle mourante, dans un vieux chandelier de cuivre, se voit le fauve du cou d’un jeune ours, percé d’un trou rond, et ses larges pattes recourbées par la mort — des pensionnaires du Jardin d’Acclimatation, que la faim de Paris va se disputer demain.

Sous le ciel sans lune et sans gaz, la Seine roule une eau sombre, une eau de Phlégéton.

Le noir de cette ville, dont je retrouvais, à plus de dix lieues, l’emplacement par la réverbération qu’elle