Aller au contenu

Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernière ressource que j’ai gardée contre la viande des tire-fiacres d’aujourd’hui, contre la faim de demain.

Jeudi 5 janvier. — Aujourd’hui le bombardement est commencé de notre côté. On ne voit rien, la vue est arrêtée, au delà du rempart, par un épais brouillard, dans l’opacité blanche duquel s’entendent de formidables détonations.

Je retourne dans l’après-midi vaguer autour du cimetière d’Auteuil. De temps en temps des sifflements d’obus, et tout à coup, deux hommes se trouvant à une trentaine de pas en avant, se rabattent vivement sur moi : l’un tenant dans sa main un morceau de fonte de plus de deux livres, qui vient de les effleurer.

On parle de blessés à Javel, à Billancourt. Cependant tout le monde qui est là, — tout le monde, hommes et femmes, — ne veulent pas s’en aller, et font preuve d’une curiosité sans peur. Depuis deux mois, la canonnade du rempart a habitué la population parisienne au canon, et le bombardement, loin de l’effrayer, semble la pousser, toute nerveuse, au dédain du danger.

Vendredi 6 janvier. — En me promenant dans le jardin, dont le vert tendre, sous la tiédeur du dégel, commence à percer le blanc de la neige et du givre, j’entends, à tous moments, des sifflements d’obus,