Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/209

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À la porte d’un café du boulevard, sept ou huit jeunes officiers de mobiles paradent et coquettent autour d’une lorette, aux cheveux flamboyants, arrêtant, pour l’éplapourdissement des passants, le menu d’un dîner de haute fantaisie et de spirituelle imagination : le menu de leur prétendu dîner du soir.

Comme propriétaire, ma position est singulière. Tous les soirs, en revenant à pied, mes yeux cherchent, du plus loin qu’il leur est donné de voir, si ma maison est debout. Puis, quand j’ai cette certitude, c’est, à mesure que je me rapproche, au milieu des sifflements d’obus, un examen de détail et une stupéfaction de ne trouver encore ni trou, ni écorniflure à mon immeuble, — dont, toutefois, on laisse la porte entre-bâillée, pour que je n’aie pas trop longtemps à y attendre.

Lundi 16 janvier. — Fête du roi Guillaume. Le canon m’avait empêché de dormir toute la nuit, et j’étais encore sous mes draps, dans un engourdissement de fatigue. Au milieu des tonnerres de la batterie de Mortemart, j’avais perçu un bruit au-dessus de ma tête, et je croyais qu’on avait remué un meuble. Quelques minutes après, Pélagie entrait dans ma chambre et m’annonçait gaillardement qu’il venait de tomber un obus chez mon voisin, justement dans une chambre dont le mur est mitoyen. L’obus, ou plutôt deux fragments d’obus, ont percé le toit, et sont tombés dans une chambre, où était couché un