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au grand matin, la lettre de Thierry, qui nous pressait de revenir, pour mettre Henriette Maréchal en répétition.

Et remontant au bout, tout au bout de ces années, c’est de cette porte que je nous vois sortir, en blouse blanche, le sac au dos, pour notre voyage de France, en 1849, lui avec sa mine si jolie, si rose, si imberbe, qu’il passait, dans les villages que nous traversions, pour une femme que j’avais enlevée.

5 août. — Auteuil. Des journées à aller, à venir dans cette maison, comme une âme en peine. C’est bien le mot.

Samedi 6 août. — Du cabinet des Estampes de la Bibliothèque, je vois des gens courir dans la rue Vivienne. Instinctivement je repousse le volume d’images, et dehors aussitôt, je me mets à courir derrière ceux qui courent.

À la Bourse, du haut en bas, ce ne sont que des têtes nues, chapeau en l’air, et dans toutes les bouches une formidable Marseillaise, dont les rafales assourdissantes éteignent à l’intérieur le bourdonnement de la corbeille. Jamais je n’ai vu un enthousiasme pareil. On marche à travers des hommes pâles d’émotion, des bambins sautillants, des femmes aux gestes grisés. Capoul chante cette Marseillaise sur le haut d’un omnibus, place de la Bourse, et sur le bou-