Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/38

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couvert d’hommes et de femmes, semblant s’être répandus de leur chez-soi, sur le pavé, un jour de fête de la grande ville, oui, un million d’êtres qui paraissent avoir oublié que les Prussiens sont à trois ou quatre marches de Paris, et qui, dans la journée chaude et grisante, vont à l’aventure, poussés par la curiosité fiévreuse du grand drame historique qui se joue.

Et c’est, tout le long de la rue de Rivoli, des passages de troupes chantant la Marseillaise. Rien ne manque à la journée, pas même les chienlits des révolutions, et une voiture découverte charrie, porteurs de grands drapeaux, des hommes à barbiches et à œillets rouges, au milieu desquels un turco saoul embrasse une femme ivre.

Il est cinq heures à l’Hôtel de Ville. Le monument de la cité libre, les pieds dans l’ombre, rayonne en haut d’un soleil qui fait aveuglant l’horloge. Aux fenêtres du premier étage, des blouses et des redingotes s’étagent jusqu’aux meneaux supérieurs : le premier rang, assis les jambes pendantes en dehors de l’édifice, et semblable à un gigantesque paradis de titis, dans un décor de la Renaissance.

La place fourmille de monde. Des voitures, où se hissent des curieux, stationnent arrêtées, des gamins sont accrochés à des candélabres, et de toute cette agglomération de créatures enfiévrées, monte une sourde rumeur.

De temps en temps, tombent des fenêtres de petits papiers, que la foule ramasse et rejette, en l’air, et