Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/46

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table, un troupier, au geste vainqueur, batifolant avec une cantinière du 93e, au petit tablier de soie bleue, envolé de sa jupe de drap.

Sur le mur des fortifications pèse un ciel bas, à travers lequel le vent chasse des nuées grises, au-dessus d’une ligne jaune : le ciel que Decamps met au-dessus de ses combats de Cimbres et de Teutons, et où, dans le moment, luit le bronze luisant de pluie, d’une pièce de 24, dont un gamin tourmente la manivelle.

Je monte sur le rempart. C’est comme l’écroulement de l’horizon, de ses arbres, de ses maisons, tombant à terre, dans un grand bruit étouffé, tandis que des pans de mur restent debout ainsi que des décors de dévastation, où se voient les poutres de toits à jour, enfermant du bleu du ciel, et des recoins rouges de marchands de vin effondrés. Dans la verdure seule, est encore debout la chapelle du duc d’Orléans.

Sur le pont-levis dans le chemin tournant, un désordre, une bousculade. Déjà le moi des hommes et des femmes s’est fait brutal, presque féroce. On se pousse les uns les autres, sous tous ces déménagements, sous toutes ces fuites, on se pousse sous les roues de toutes ces charrettes, de tous ces omnibus, de tous ces transports militaires, de tous ces haquets, enchevêtrés l’un dans l’autre, embourbés dans le chemin défoncé. Et l’on ne gagne l’avenue de Neuilly qu’un peu frôlé par le moyeu des roues, qu’un peu souffleté par les planches et les morceaux de bois portés par les ouvriers.