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Vendredi 30 septembre. — Réveillé par le canon. Une aurore toute rouge. Au loin le grondement sourd du brutal.

J’arrive au bout de la rue d’Enfer, à cette église fraîchement bâtie à l’angle de cette rue et du boulevard Saint-Jacques.

Là, près de voitures vides, rangées des deux côtés de la chaussée, une populace d’attendants, une populace silencieuse d’hommes et de femmes. Les femmes, coiffées de madras ou de petits bonnets de linge, sont assises, au bord de la chaussée, ayant près d’elles leurs petites filles, qui ouvrent sur leurs têtes leurs mouchoirs contre le soleil, et fixent, sans jouer, la figure sérieuse de leurs mères. Les hommes, les mains dans leurs poches ou les bras croisés, regardent au loin devant eux, leurs pipes éteintes à la bouche. On ne boit pas dans les cabarets, on ne cause même pas. Un blousier seul, au milieu d’un groupe, raconte des choses qu’il a vues, en affirmant chacun de ses dires, d’un mouvement qui lui fait passer, à tout moment, un gros doigt devant le nez.

On dirait une population figée, et il y a une si sévère gravité en ces hommes, en ces femmes, qu’en dépit de ce perpétuel beau soleil et de cet éternel azur du ciel, le décor semble prendre quelque chose de la tristesse de cette silencieuse attente.

Tous les yeux, tous les regards sont tournés vers la rue de Châtillon. De temps en temps, de la poussière de la route, jaillissent au galop, des estafettes parmi lesquelles il y a des gamins, à la blouse en-