Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/90

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crédences gothiques, exposées sur le trottoir, personnifient la mélancolie des commerces de luxe dans la débine.

Devant le chemin de fer du Nord, je m’embarque pour Saint-Denis, dans la tapissière classique des environs de Paris, une tapissière recouverte des lambeaux d’une ancienne verdure, et qui a pour conducteur un enfant, tombé la figure dans le feu. Quand nous sommes dix, nous partons. Il y a de gras marchands à chevalière au doigt, des vieillards en cravate rouge et à la culotte déboutonnée, un modèle de l’École des Beaux-Arts, le brûle-gueule aux dents, une fringante maîtresse d’officier, emportant dans une valise la cuisine suave d’une nuit d’amour.

Nous arrivons au petit pont sur le canal, mais il ne nous est donné de voir que de loin Saint-Denis. Des zouaves et des mobiles ferment l’entrée de la ville, et retiennent en deçà du pont, mères, sœurs, parents, amis, maîtresses. Un espion prussien, nous est-il dit, s’est introduit dans la ville, et pour s’en saisir, on a coupé toute communication avec le dehors. Et au bout d’une heure, tout le monde désappointé se décide à regagner Paris, après une sieste sur le talus.

Partout la même destruction de la zone militaire, d’où se lèvent, de champs de gravats, çà et là, des pans de mur, montrant des échantillons de papier peint, — et devant soi, le plus loin que va la vue, des champs ponctués de points de toutes les couleurs : des hommes, des femmes, ramassant les glanures de la terre.