Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/92

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et bien plutôt d’humiliation douloureuse que de crainte, de savoir ces collines, si rapprochées de vous, n’être plus françaises, ces bois, n’avoir plus de promeneurs de Gavarni, ces maisons, si joliment ensoleillées, ne plus abriter vos amis et connaissances, et de chercher avec une lunette, sur cette terre parisienne, des hommes à colback et un drapeau noir et blanc, et de sentir enfin à 4 000 mètres, tapis dans le verdoyant horizon, les vaincus d’Iéna.

 

Les ruines, les déchiquetures de murs de la descente de Passy au Trocadéro, escaladées par des hommes, par des gamins, qui, étagés dans la pierraille croulante, suivent de l’œil la canonnade…

Sur le pont de la Concorde, précédés d’une troupe d’enfants, criant, chantant, dansant au milieu d’un peloton de mobiles, j’aperçois du haut de l’omnibus, deux têtes de mauvais roux, dans des uniformes bleuâtres : des prisonniers bavarois.

Du Panthéon, je me rends à la place d’Italie par la rue Mouffetard. Entre des boutiques nécessiteuses et semblables à des boutiques de village, à travers les petites voitures à bras d’oignons rouges, un va-et-vient brutal, une circulation tumultueuse de femmes en cornettes à carreaux, aux bras nus, au tablier d’indienne bleu ; de vieillards cacochymes médaillés de Sainte-Hélène ; de gras vagabonds aux faux-cols du docteur Véron : foule grouillante, grossie, à tout moment, de gardes nationaux se rendant à l’exercice en pantoufles.