Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/144

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tait toutes les gaies chansons italiennes, que sa première enfance avait entendues, dans la baie de Naples.

Je ne crois pas aux maladies du cerveau ressemblant à des coups de foudre. Cet enfant n’était pas plus intelligent, pas plus spirituel qu’un autre, mais cet enfant avait une faculté que je n’ai jamais rencontrée, poussée à ce développement chez aucun autre : la faculté de la sensation. Je n’ai jamais vu un enfant jouir, comme lui, du parfum d’une fleur, de la vue d’une jolie femme bien habillée, du confort d’un bon fauteuil, du toucher d’une chose agréable. Et son toucher à lui était particulier, on peut dire que c’était une caresse. Non je n’ai jamais rencontré des sens procurant à un être, par le contact des choses, un épanouissement sensuel semblable, une félicité pareille. C’était la faculté supérieure de ce petit cerveau, une faculté anormale, et les facultés anormales d’un cerveau, quelles qu’elles soient, sont toujours menacées d’une méningite.

Le spectacle de cette mort est horrible. La mère, cette frêle femme, s’est donné pour tâche d’être forte pour elle et son mari, et, sans une larme, elle veille à tout, elle fait tout, elle touche à tout, avec un corps tout d’une pièce, et des gestes automatiques qui font peur. J’étais tout à l’heure dans sa chambre, devant son armoire à glace. Je n’oublierai jamais la douce voix artificielle, qu’elle a prise pour me dire de me déranger, et le haut-de-corps désespéré, avec lequel, l’armoire ouverte, elle a jeté sur ses bras,