Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/170

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sation et de l’utilitarisme moderne, un seul sentiment immatériel et désintéressé subsiste en France : le culte des morts.

Je ne crois pas qu’il y ait ce jour, dans les cimetières des autres pays de l’Europe, tant de robes noires, tant de couronnes, tant de fleurs. En sortant du cimetière, je me suis croisé à la porte, avec Dubois de l’Estang qui, en me donnant la main, m’a dit : « Vous revenez de chez votre frère ? » Cette phrase qui me faisait revenir d’auprès d’un mort, comme de chez un vivant, m’a fait plaisir toute la journée.

Mercredi 4 novembre. — La princesse m’a fait des reproches tendres, sur ce que je séjournais chez tout le monde, excepté chez elle. Donc je pars aujourd’hui pour Saint-Gratien, quittant avec un certain regret mon chez-moi, dans lequel je n’étais pas fâché de me réinstaller après tant de mois d’absence.

Ce soir, on lit, à haute voix, le volume de Daudet, que j’ai apporté : Fromont jeune et Risler aîné. Au milieu de la lecture, Popelin se met à prendre de petits morceaux de papier, et sur leur surface mouillée, fait tomber des taches de couleur, imitant les marbrures du papier peigne. La princesse, d’un œil à demi entr’ouvert, regarde un moment faire, puis tout-à-coup, avec un vrai coup de patte de chat, elle ramène à elle la boîte d’aquarelle, arrache une feuille du bloc de Whatman, et la voilà à barbouiller, à bar-