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planches suprêmement artistiques. Je les ai admirées, ces pointes sèches ! Il m’a offert de me graver, et rendez-vous a été pris.

Je vais le trouver aux Batignolles avec Burty.

L’atelier est dans la cour d’une grande cité ouvrière, bruyante de toutes les industries du bois et du fer. Il est construit en planches mal jointes, que recouvrent au-dedans d’immenses tapisseries rapportées d’Italie, représentant la mort d’Antoine, la construction de Carthage, et mettant au mur en leurs verdures fanées, dans une couleur haillonneuse, un monde pâle et effacé de guerriers farouches à l’apparence spectrale. D’un côté du mur la vieille tapisserie fait la portière d’une autre pièce, dans laquelle on entend des cris d’enfants.

Et partout sur le ton sordide et jaunâtre de la laine déteinte, pendent à des clous, des châssis montrant sur les genoux et les bras d’une mère, des nudités d’enfants, de petits ventres, de petits culs au coloris rose et gris des esquisses de Lepicié : l’étal d’une chair, dans laquelle on sent les entrailles d’un peintre-père. Et partout dans l’atelier sont épars des joujoux, et du linge reprisé. Et deux petits chiens, nouveau-nés, gros comme des rats, se tiennent fraternellement dans les pattes l’un de l’autre, se mordillant leurs petites gueules entr’ouvertes.

Sur le rebord d’une fenêtre, près d’une chaise, au dossier raccommodé avec une ficelle, une page d’un vieux livre entr’ouvert : Ragionamenti di Pietro Aretino, est grise de la poussière, tombée depuis des mois.