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vos livres, les livres que vous m’aviez prêtés, lui dis-je. — Mes livres… oh ! des livres dans le roulage… Tenez, vous êtes un bon garçon, je vous les donne… Vous me payerez deux francs par mois. »

« C’est ainsi que je devins possesseur d’un Montaigne et d’un Rousseau. Les ai-je lus dans cette petite chambre, que j’habitais alors Hôtel de la Marine, en face la Banque — une chambre si basse, qu’il fallait choisir un endroit pour changer de chemise. — Et je ne l’ai plus, cependant, ce Montaigne,… quand j’ai voulu aller à Athènes, il a fallu vendre mes livres… Mais j’ai encore le Rousseau… »

Jeudi 17 juin. — L’étonnement est extrême chez moi, en voyant la révolution qui s’est faite, tout d’un coup, dans les habitudes de la génération nouvelle des marchands de bric-à-brac. Hier, c’étaient des Auvergnats, des ferrailleurs, des Vidalenc en un mot, aujourd’hui ce sont des messieurs, habillés par nos illustres tailleurs, achetant et lisant des livres, et ayant des femmes aussi distinguées que les femmes les plus distinguées : — des messieurs, s’il vous plaît, donnant des dîners, servis par des domestiques en cravate blanche.

Je faisais ces réflexions chez Auguste Sichel, devant un potage aux nids d’hirondelles, et en remarquant le pied d’égalité établi entre le maître de la maison et les opulents clients que le ménage avait à sa table.